Jivya Soma Mashe, le pêcheur de l'impossible
Le filet géant lancé par un minuscule pêcheur est le thème le plus connu du peintre warli le plus fameux : Jivya Soma Mashe. Cette représentation étonnante a été déclinée bien des fois par Jivya, elle est la base de toute collection d'art warli.
Le monde de l'art contemporain commence à connaître et à apprécier ces compositions bicolores où fourmillent de petits personnages dansant, chassant, collectant ou cultivant, entourés de forêts ou de rizières peuplées d'animaux sauvages et domestiques tout aussi joyeux. Il reste maintenant à en apprécier toute la portée spirituelle.
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Cette toile est l'illustration d'un culte de fécondité nommé "Ravaal". Il se déroule loin du village dans les plantations de riz (c'est la scène principale de la toile). Il est dirigé par le chamane, et tous les hommes du village doivent y prendre part. Un trou est creusé dans un champ et un plant de calendula est installé en son centre. On joue de la tarpa (instrument à vent).
Cela dure sept jours.
C'est aussi une période de renouveau spirituel et d'enseignement pour les futurs initiés.
Dans la scène du haut, une femme accueille le chamane qui apporte le bien-être de la divinité dans sa maison.
Cette cérémonie se déroule en octobre et novembre
Jivya Soma Mashe, aujourd'hui âgé de quatre-vingt ans, est sans doute l'homme qui connaît le mieux l'immense réservoir de mythes qui forme le capital culturel des Warlis, et dont l'imaginaire, libre et fertile, est capable de le transcender dans ses créations.
Ce n'est pas un hasard si c'est par lui que l'art Warli a atteint la notoriété.
Au début de sa vie, à l'âge de 7 ans, Soma perdit sa mère. Le choc lui enleva la parole pendant plusieurs années. Seuls les dessins tracés dans la poussière furent alors son mode d'expression. Cela impressionna beaucoup les gens de sa communauté ce qui lui valut un statut particulier.
Cette période d'introspection et d'expression purement picturale développa son imagination et sa sensibilité artistique.
Le passage au papier et à la toile libéra sa créativité et en fit un artiste à part entière.
Sa peinture parle des temps anciens et évoquent une culture ancestrale. Des masses de points vibrent et
racontent la vie tribale et les légendes Warli, conférant à ses compositions un impression de vitalité intense et de mouvement qui est le sentiment profond du peuple Warli vis à vis de la
création, de la nature et la vie donnée aux hommes.
La première exposition de Jivya s'est tenue à la Galerie Chemould, Jehangir Art Gallery à
Mumbai en 1975 à l'initiative de Bhaskar Kulkarni, son découvreur et principal agent. Sa première exposition hors de l'Inde eut lieu en France à Menton en 1976.La France encore l'accueillit au
Centre Pompidou, à Paris en 1989. En 2003, il fut exposé au Musée Kunst Palast de Düsseldorf, en Allemagne et au Padiglione d'Arte contemporaneo en 2004 à Milan. Il exposa ensuite à la Shippensburg University, États-Unis en 2006 et à Halle Saint Pierre à Paris en 2007. En Juillet 2007, une autre exposition de ses peintures a
été tenue à Chemould Gallery, Mumbai. Le musée Branly accueillit ses
toiles en 2010 lors de l'exposition « Autres Maîtres de l'Inde » consacrée aux arts Adivasi (Aborigènes)
En 1976, il a reçu le Prix national pour l'art tribal. En 2002, il a reçu le prix Guru Shilp. En 2009, il a été le récipiendaire du Prix Prince Claus pour la peinture Warli. En 2011, il a reçu le
Padma Shri pour sa contribution à la peinture Warli.
Hervé Perdriolle est l'un des principaux promotteurs de cet art en France et à l'étranger. Sa superbe collection, visible à Paris, témoigne du génie de Soma Mashe.
Jivya a une fille et deux fils. Ces derniers sont devenus des peintres connus.
Jivya Soma Mashe est un fondateur. Beaucoup de jeunes gens marchent sur ses traces et développent un art de grande qualité qui est aussi un apport économique pour la communauté warli.
On ne peut que regretter que cette expression traditionnellement exclusivement féminine ait été confisquée par les hommes au moment où elle accédait à la notoriété. Ceci est d'autant plus étonnant que les femmes Warlis ont toute leur place dans l'organisation traditionnelle, égalitaire, comme c'est souvent le cas dans les sociétés premières, et contrairement à la culture indienne qui les entoure.
Aujourd'hui même les peintures traditionnelles sur les murs des maisons sont souvent des oeuvres d'hommes. Comment une telle annexion a t-elle pu avoir lieu? Est-ce là l'influence de la société environnante avec laquelle il a bien fallu composer? ou bien est-ce que l'activité, devenue économique et extérieure, échoit par nature aux hommes?
Toutefois rien n'est perdu et des femmes artistes commencent à émerger, paraît-il. Nous ne les avons pas rencontrées mais espérons bien pouvoir en exposer prochainement.