Le Rêve aborigène, là où le temps n'existe pas...

Publié le par Wanampi

Aborigènes, Australie, Mythes, peinture
Tnorala... Quand le mythe rejoint la science

 Il existe dans le centre de l’Australie, une curieuse montagne en forme d’anneau de 22 km de diamètre et 180 mètres de haut. Son nom aborigène est Tnorala. Les Occidentaux la découvrirent en 1872, la baptisèrent Goss Bluff en l’honneur de l’explorateur William Gosse. Les scientifiques s’y intéressèrent de plus près en 1960 et déterminèrent qu’il s’agissait de l’impact d'un astéroïde au début du Crétacé. La preuve la plus solide provenant de l'abondance de cônes d'éclatement. Le peuple Arrente qui en est le gardien traditionnel depuis la nuit des temps n’a jamais eu besoin des vues satellitaires ni de l’analyse des cônes d’éclatement pour savoir qu’il s’agissait là d’un corps astral ayant percuté la terre.

Et comme toujours chez les Aborigènes, cela se chante, se danse et se célèbre sous une forme mytho poétique. Ainsi, le « Rêve » (mythe) de Tnorala est le suivant : Dans le Dreamtime (le temps du Rêve), un groupe de femmes étoiles (des géantes ancestrales) dansaient dans la Voie lactée. L'une des femmes, fatiguée, plaça son bébé dans un coolamon (un plat creux en bois). Les femmes dansèrent si fort que le coolamon bascula et que le bébé tomba sur la terre poussant les rochers vers le haut et formant cette couronne montagneuse. Les parents du bébé, l'étoile du soir et du celle du matin, continuent à chercher inlassablement leur enfant. Le coolamon, lui peut encore être vu dans le ciel comme la constellation «Corona Australis ». Tnorala est un lieu hautement sacré pour les Arrente.

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Ancêtres Tingari par Walter Brown Jangala. Fils de l'artiste récemment décédé Ronnie Tjamijinpa, Walter peint comme lui les motifs labyrinthiques qui se rapportent aux mythes Tingari. Ces histoires racontent l'errance d'un peuple dans le centre de l'Australie, itinéraires et aventures qui sont à l'origine de la formation du paysage, des rituels et de la loi du Dreaming. Serait-ce là le souvenir mythifié d'une très ancienne migration – et probablement la seule en 50 000 ans - qui eut lieu il y a environ 6000 ans ?

On sait que la transmission du savoir est extrêmement poussée et contrôlée chez les Aborigènes et qu’elle peut franchir de nombreuses générations, ce qui en soi est déjà époustouflant, mais là, il s’agit d’un évènement survenu il y a environ 145 millions d’années c’est-à-dire bien longtemps avant l’apparition de l’espèce humaine. Et pourtant ils savent depuis toujours. Ceci est un des nombreux exemples d’un connaissance innée, intemporelle de la genèse du monde, de ses aspects, de ses mutations, de ses êtres.

Laissez moi pour donner encore un exemple de ces intuitions confirmées depuis peu par notre religion à nous, la Science.

L'analyse ADN du seul palmier de l'outback australien, Livistona mariae, que l’on trouve uniquement à Palm Valley, dans le lit de Finke river, la plus ancienne rivière au monde, indique qu'il provient de graines apportées du nord du pays et qu’il aurait divergé génétiquement il y a entre 7 000 et 31 000 ans de son cousin, trouvé au nord du continent. Or le mythe aborigène raconte précisément comment des esprits ancestraux qui venaient du nord ont apporté les graines de ce palmier que l’on ne retrouve nulle part ailleurs en Australie. L'anthropologue allemand Carl Strehlow a relevé cette histoire dans les années 1900.

Pour les peuples aborigènes de l’Australe, le passé et le présent se confondent, se contractent, existent simultanément. Un monde que nous disons passé existe dans l’interstice de ce que nous croyons être du vide. Dans cet espace il y a de l’énergie native et de la connaissance pour qui n’est pas « stérilisé » par l’esprit scientiste / cartésien. C’est ce qu’ils appellent le Rêve. Une femme que je souhaitais photographier m’a dit un jour « Tu me vois assise sur un rocher mais moi je suis assise sur le corps de mon ancêtre, cette terre c’est mon ancêtre et c’est moi aussi ». Comprenne qui peut...

L’anthropologue Barbara Glowzewski dans ses entretiens avec Felix Gattari (Espaces de rêves, Les Warlpiri) précise: «ll est très important de dire que la notion du rêve, des ancêtres du rêve, du temps du rêve, n’est pas un simple temps des origines, mais c’est l’espace, à la fois du passé, du présent et de l’avenir où sont stockées toutes les combinaisons possibles entre les éléments de l’existence. »

Art aborigène, Australie, Walter Brown Jangala
Tingari par Walter Brown Jangala. Pistes du Rêve et marécages.

 

Publié dans ART D'AUSTRALIE

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M
J'ai eu la chance de voir la 1° exposition d'art aborigène à Montpellier en 1990 , j'en ai gardé un souvenir très vif , très curieuse et intéressée par cette osmose entre les mythes, les rêves aborigène et les œuvres produites.<br /> Je ne trouve plus le catalogue acheté et je suis ravie d'avoir retrouvé des travaux si pleins de sens
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W
Merci Marie-Claude, au plaisir de vous lire à nouveau sur mes articles.