Acheter de l'art aborigène, plaisir ou investissement ?
Acquérir une toile aborigène peut faire correspondre plaisir et investissement, et même davantage puisque le succès de cette peinture aura contribué à la sauvegarde d’une tradition artistique que l’on sait être la plus ancienne au monde. Choisir une toile judicieusement demande d’être bien informé. L'art aborigène a une place à part dans le monde de l’art contemporain. On l’a dit bien souvent il est à la fois tribal, résolument moderne et absolument authentique. Il s'est révélé un solide investissement dans le temps, au cours des quarante années qui ont suivi la naissance du mouvement, en 1971. voir article de l'Express de 2009
Cette valorisation a subi un coup d'arrêt en 2010, crise oblige. Puis les choses se sont stabilisées, et actuellement, de jeunes artistes talentueux prennent la relève des fondateurs du mouvements qui, hélas, disparaissent peu à peu. Certains de ces artistes de deuxième génération sont déjà très recherchés.
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Les toiles des fondateurs, décédés ou produisant peu, voire plus du tout car trop âgés, deviennent rares, sont détenues par des musées ou des collectionneurs privés, quand elles apparaissent sur le marché, leur cours est parfois très haut. A ce sujet, lire l'article d'Eric Tariant, dans le journal Le Temps d'octobre 2017.
Autre exemple d'un artiste âgé mais dont la main ne faiblit pas: Tommy Watson Yannima Pikarli, livre des toiles d'une énergie et d'une puissance dont seuls les seniors sont capables.
Ci-dessous deux toiles récentes:
Où LES OEUVRES SONT-ELLES REALISEES ?
Il y a plusieurs possibilités. Les artistes aborigènes ne sont pas fidèles, très mobiles, posant leur campement ici ou là, ils nomadisent d'un lieu à l'autre, d'une formule à l'autre, en fonction d'impératifs qui nous restent souvent mystérieux.
Les Arts Centers (coopératifs), il y en a dans chaque communauté aborigène et chaque personne peut venir y peindre.
Les artistes y ont une rémunération qui varie selon leur talent, leur cote ou le succès de leur style. L' Art Center donne à l'artiste un pourcentage sur la vente de ses œuvres (variable selon les coopératives), le reste revient à la communauté. Ce sont des pépinières d'artistes, les plus doués iront - mais pas toujours - vers un manager privé capable d'assurer sa notoriété.
Les Art Centers ne font pas de photos mais ils incluent (en général) un portrait du peintre dans le certificat ou la biographie.
Les ateliers privés, installés dans les petites villes de l'Outback, principalement Alice Springs, reçoivent les peintres en résidence, généralement à la journée.
Ils paient directement et intégralement l'artiste (ou sa famille pour les peintres âgés). Le plus souvent les peintres sont payés aussitôt la toile terminée (donc avant qu'elle ne soit vendue) et souvent, à sa demande, l'atelier paie chaque jour de travail. Les artistes aborigènes ne se privent pas de faire jouer la concurrence entre les ateliers et privilégient ceux où ils sont bien accueillis, nourris et respectés, et dûment rémunérés.
Depuis quelques années, la plupart des ateliers privés font un jeu de photos du « working progress ». Le peintre y réalise sa toile de A à Z, pointillisme compris.
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La "guerre" privé / public
Il faut savoir qu'une guerre impitoyable se livre en Australie entre la culture subventionnée (dont dépendent les Arts Centers, les musées nationaux et le Telstra Prize, créé par la National Gallery of Northern Territory), et les organismes indépendants (ateliers, galeries privées, agents...).
Il n'est pas vraiment indispensable de prendre parti dans cette affaire australo-australienne qui est d'abord politique et idéologique.
Ceci dit, on comprend pourquoi le Telstra prize est réservé aux œuvres provenant des Art centers. (Ce qui n’empêche pas l’artiste de valoriser par ce prix l’ensemble de son œuvre). Il y a un boycott du système d'état vis à vis des œuvres produites hors Art center. Certains spécialistes et personnalités politiques sont très virulents, accusant ouvertement les Art Centers de paternalisme.
Cependant on ne peut dénier que les Art centers ont un rôle inestimable, ils sont un héritage de l'accès à l'autodétermination des Aborigènes, ils sont une pépinière d'artistes, ils permettent à des régions éloignées d'exister et leur fonction sociale est primordiale. Si peu d'entre eux sont rentables, ils génèrent un profit dans des sites éloignés qui n'en produiraient aucun.
La réalité est qu’il y a une grande diversité de gestion, de sérieux et de compétences dans les Art Centers comme dans les lieux privés de création.
La rétribution des artistes est variable d'un centre à l'autre et surtout elle peut se faire (tout comme dans les ateliers privés d'ailleurs) en fonction du niveau d'expérience et du succès des ventes de chaque artiste. L'important est que la règle soit claire pour le peintre. Les politiques commerciales peuvent aussi être très différentes, tel centre très dynamique va accepter et même encourager les dépôts d'oeuvres (en admission temporaire pour l'étranger), d'autres ne vont même pas accepter de recevoir la visite de « clients », réservant toute leur production aux expositions « culturelles » et aux musées.
Toutefois, les peintres ne s'occupent nullement de ces questions, ils travaillent où bon leur semble et leur travail n'a pas moins de valeur selon qu'il est produit ici ou là.
Kathleen Petyarre, Ngoia Pollard, Dorothy Napangardi, toutes trois gagnantes d'une Telstra prize ont plus travaillé dans le secteur privé que pour leur Art center d'origine. Dorothy, pour ne citer qu'elle, doit sa notoriété à la galerie Gondwana plus qu'à son Art center d'origine à Yuendumu.
Le peintre autonome (ou entouré de gens autonomes) se procure lui-même le matériel, travaille chez lui et vend sa toile en direct ou aux ateliers privés. A ce moment, en général, une photo est prise de lui présentant sa toile, ce qui vaut signature (Aucun Aborigène ne revendiquerait un «rêve (dreaming)» dont il ne serait pas propriétaire. Les artistes qui écrivent signent au verso.
Les artistes âgés qui peignent hors atelier ou Art center (et dont la main ou les yeux ne sont plus de première jeunesse) se font parfois aider pour le remplissage pointilliste. Rappelons que seul le motif initial est sacré et doit être tracé de la main du "gardien du rêve". Ces "apprentis" doivent avoir un lien avec le rêve et en être jugés dignes, ce sont souvent les fils, filles, neveux ou le conjoint... Cette pratique n'enlève rien à l'authenticité; pour les Aborigènes, faire apparaître le sacré (par une peinture, un chant ou une danse) est un acte collectif.
LE PRIX D'UNE TOILE sur le marché est fonction de la rémunération de départ octroyée à l'artiste à laquelle vont s'ajouter les frais de transport, d'assurance, les taxes, la mise sur châssis et les marges des ateliers, agents ou galeries.
Le milieu de l'art aborigène s'est moralisé, en particulier grâce à la charte d'éthique mise en place par les pouvoirs publics australiens (Indigenous Art Code) dont la plupart des lieux de création sont signataires. L'association AAAA (Aboriginal Art Association of Australia) adhérente de l'Indigenous Art Code, réunit les intervenant privés qui s'engagent pour l'éthique de la profession.
Comme toutes les oeuvres d'art, la peinture aborigène jouit, en droit français, d'une fiscalité avantageuse.
Sur la cote des artistes, ci-dessous le point de vue de Stéphane Jacob, le plus ancien marchand d'art aborigène en France.
LA CERTIFICATION
L'une des premières choses à considérer lorsqu'on désire acquérir une peinture aborigène est la garantie d'authenticité.
Un certificat est établi par l'atelier où l'oeuvre a été exécutée (ou achetée à l'artiste si celui-ci a travaillé en dehors d'un atelier) ou par le professionnel qui l'acquiert en premier, et un numéro de stock lui est alors affecté. C'est le certificat d'origine. Le plus souvent les galeristes refont un certificat à leur en-tête mais ils conservent le numéro et le certificat d'origine. Ainsi on peut toujours remonter à l'origine de la toile.
Les certificats varient dans les détails qu'ils fournissent, cependant, la plupart des informations sont le nom de l'artiste, la communauté et le groupe linguistique, le titre, le thème (le rêve), le médium utilisé et la taille de l'œuvre.
Dans le monde aborigène, l'écriture est la peinture, et la signature est précisément la représentation du « rêve ». Qu'on ne s'étonne donc pas que les artistes ne signent pas leurs œuvres. Une photo de l'artiste présentant sa toile tient lieu de signature. Toutefois depuis quelques années, certains artistes, surtout les jeunes ont pris l'habitude de signer au verso de la toile.
LE CHOIX DE L'OEUVRE
Que vous achetiez par pur plaisir ou que vous ayiez une idée d'investissement, c'est d'abord la force de l'émotion qui doit vous guider. L'oeuvre doit être puissante. C'est cela qui en fait une grande oeuvre. Les collectionneurs ont ce flair et leurs coups de coeur sont souvent à terme leurs meilleures affaires.
La notoriété de l'artiste et sa présence dans les grandes collections du monde sont un facteur important d'estimation. Les plus importantes sont :
en Australie : National Gallery of Victoria, Melbourne, VIC ; Art Gallery of South Australia , Adelaide, SA ; Art Gallery of Queensland , Brisbane, QLD ; Art Bank, Sydney, NSW ; Robert Holmes à Court Collection, Perth, WA ; Hank Ebes Collection , Melbourne, VIC ; Queensland College of Art, Brisbane, QLD ; Flinders university, Adelaide S A.
aux Etats-Unis : Seattle Art Museum, Seattle, Washington ; Kelton Foundation, Los Angeles, California ; Harvard University (Peabody-Essex Anthropology and Ethnology Museum), Salem, Massachusetts ; Levi-Kaplan Collection, Seattle, Washington ; Kluge-Rhue Collection, University of West Virginia.
en Europe : Musée du quai Branly, Paris ; Musée des Confluences, Lyon ; Musée d’Art Aborigène, Utrecht, Hollande.
D'autres critères doivent être pris en compte :
LA QUALITE INTRINSEQUE DE LA TOILE.
Le style de l'artiste est-il abouti, aisément reconnaissable, l'oeuvre est-elle soignée ?
LA BIOGRAPHIE
Elle doit établir l'âge et la position de l'artiste dans sa communauté et à l'intérieur du mouvement. Est-il un aîné, un « gardien traditionnel » dans son groupe (et donc détenteur de connaissances qui forment le socle de son travail) ? Les peintres de la première génération sont tous cotés très haut, hélas peu sont encore en activité. L'artiste t-il été novateur, quelles ont été ses influences (familiales ou communautaires), a t-il eu lui-même une influence dans l'évolution du mouvement ?
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LA TAILLE DE L'OEUVRE.
Enfin le prix d'une toile est aussi, évidemment fonction de sa taille. Mis à part les toiles dites « Early days » c'est à dire produites dans les années 70/80, tout au début du mouvement, qui étaient souvent par nécessité très petites, (réalisées sur des chutes de contreplaqués par exemple), il y a peu de petits formats.
Enfin il faut garder à l'esprit cette vérité : en art aborigène, les grands formats se valorisent davantage dans le temps.