A la croisée des cultures, Bess Nungarrayi Price, femme de pouvoir… et peintre.
Personnage hors du commun, Bess commença sa vie sous un arbre du désert Tanami et faillit bien l'y terminer ! et pourtant, ce minuscule bébé était destiné aux plus hautes fonctions de l’état australien du Territoire du nord. L’oeil mutin, le sourire facile, le visage énergique encadré d’ une généreuse chevelure bouclée, Madame la Ministre Price reçoit en toute simplicité.
Lorsqu’elle naquit, en 1960, une terrible sécheresse règne sur le territoire des Warlpiri, durement maltraités depuis des décennies par l’avancée des éleveurs blancs. La naissance de l’enfant est alors, pour la mère qui en a déjà perdu quatre, et qui est elle-même très dénutrie, une épreuve insurmontable. Le bébé est petit, apparemment non viable, aussi décide-t-elle de le laisser sous l’arbre où elle vient d’accoucher, afin, expliquera-t-elle plus tard, « qu’un serpent vienne vite le tuer ». Mais le sort en décide autrement. Une co épouse prend pitié du bébé et le sauve. Bess survit. Elle est nommée du nom de la « piste chantée » le long de laquelle elle était née : « Honey ant dreaming ». Plus tard, Bess pardonnera à cette mère et l’assistera jusqu’à son dernier jour.
Jusqu’à neuf ans, elle grandit dans le bush, menant la vie semi nomade autour de Yuendumu, et dormant dans les abris de branchages que construit son père. Puis la famille rejoint la communauté sédentaire, créée et gérée par des missionnaires baptistes. A l’époque Yuendumu n’a pas l’aspect de désolation qu’elle a aujourd’hui, c’est une communauté bien organisée où chacun, sous la direction des missionnaires, fait sa part de travail. Sa mère s’emploie à la laverie et son père devient concierge de l’école. Celui-ci, un homme ouvert, curieux du nouveau monde qui arrive, à la fois respectueux de la tradition Warlpiri et du christianisme, sera pour beaucoup dans la curiosité et le désir d’apprendre qui caractérisera Bess tout au long de sa vie. Elle fréquente l’école, aime l’étude et lit tout ce qu’elle trouve.
A treize ans, conformément à la tradition elle est réclamée par sa sœur aînée Jeannie Nungarrayi Egan pour devenir sa co-épouse. L’époux, Jimmy Jangala Egan, a quarante ans. Elle récrimine mais obtempère et obtient de la famille de poursuivre ses études. Jeannie, qui deviendra une peintre de renom, la prend son son aile.
La même année elle devient mère d’un garçon dont le père est un jeune Warlpiri. Elle s’installe avec lui et commence à travailler pour le centre d’alphabétisation de Yuendumu. Mais le père de son enfant se révèle violent. C’est alors, à seize ans, qu’elle rencontre Dave, celui avec qui elle fera sa vie. A 19 ans, elle quitte la communauté et part avec lui à Alice Springs où elle commence une formation d’enseignante.
Dave et Bess parcourent l’Australie, travaillant ici et là. La famille de Bess, y compris l’époux/beau-frère abandonné, les soutient. Dave, le gendre blanc a été bien accueilli. Ils ont une fille. Mais la vie les éprouve, ils traversent de dures épreuves, ils perdent plusieurs de leurs proches dont le fils de Bess.
Bess travaille ensuite dans l'éducation et la formation, l'administration publique, les médias, le développement communautaire, l'interprétation, la traduction et l'enseignement des langues et a de l'expérience dans la gestion des petites entreprises. Avec son mari, Dave Price, elle travaille dans la formation à la sensibilisation croisée, la liaison avec la communauté et les services linguistiques Warlpiri.
C’est en devenant une jeune grand-mère, lorsque, dit-elle, cette étonnante mèche blanche apparaît dans ses cheveux, qu’elle décide d’entrer en politique. A partir de ce moment rien ne l’arrête.
En soutenant le gouvernement conservateur et sa politique directive envers les autochtones, elle devient l'une des femmes les plus controversées et déterminées en Australie. Lors de la publication en 2007, d’un rapport sur la négligence et la maltraitance envers les enfants qui règnent dans les communautés du Territoire du nord, Bess soutient la vive réaction du gouvernement Howard : maintien de l’ordre, construction de maisons, contrôle de santé, chèques médicaux, gestion du revenu, l'augmentation de la police, nouvelles restrictions de l'alcool, et nouvelles formes de régime foncier. Bess dénonce vigoureusement les considérations coupables de droit coutumier dans les décisions judiciaires qui amènent les tribunaux à une moindre sévérité lorsque les coupables sont aborigènes. C’est un pavé dans la mare .Elle est alors vilipendée par la gauche progressiste qui s’insurge contre cette politique autoritaire, interventionniste et paternaliste. Elle les accuse en retour d’avoir une vision « Disneyland » totalement irréaliste des communautés autochtones et de ce qui s’y passe. Ce faisant elle se met à dos les organisations autochtones les plus importantes, les églises, les organismes d'aide sociale, et de nombreuses personnalités qui accusent la politique Howard d’être raciste. Mais la détermination, la force de conviction de Bess lui valent des soutiens parmi les communautés et de la part de certains responsables à qui elle a ouvert les yeux sur les réalité du quotidien des autochtones, trop perturbés pour retrouver seuls des valeurs de vie sociale.
En 2011, elle se présente aux élections du Territoire du Nord du 25 août 2012 pour le siège de député de Stuart et est élue avec une avance de 18%
En 2012 elle est nominée pour le prix I’« International Women of Courage of US » et rencontre Barack Obama.
En 2013, elle devient ministre des Services communautaires, des parcs et de la faune, de l'État et de la politique des femmes, dans le gouvernement du Territoire du Nord.
En 2014, elle est nommée ministre des Gouvernements locaux, et en 2015 également ministre du Logement.
Elle perd ses fonctions dans les élections du Territoire du Nord du 27 août 2016. L’une de ses dernière interventions remarquées fut pour demander que l’anglais ne soit plus la seule langue du parlement mais que les langues autochtones puissent y être parlées, arguant : « Je ne peux représenter efficacement mon électorat sans utiliser ma première langue, le Warlpiri, qui est la seule que beaucoup comprennent », cela lui fut refusé.
Il ne manquait à cette riche et puissante personnalité que de marquer son temps par la peinture. Ce sera bientôt chose faîte, Bess a commencé à peindre. Son style est d’emblée affirmé.
Son thème de peinture, « Mala country » est celui de son grand-père. Lorsque je lui demande pourquoi elle peint plutôt le dreaming de son aïeul et non le sien propre, elle me fait cette réponse qui vaut probablement pour de nombreux autres peintres. «C’est un bonheur d’être, par le motif peint, en lien avec l’esprit d’une personne qu’on a aimé et dont on a eu la confiance ».
Sa sœur aînée, Jeannie Nungarrayi Egan, décédée en 2011, fut une peintre renommée. Ses œuvres figurent dans de prestigieuses collections dont le Musée National des Arts d’Afrique et d’Océanie à Paris.
Bess marchera-t-elle sur ses traces ?
Le Mala et son territoire (images Wilkipedia). Mala est le mot warlpiri pour désigner un petit marsupial. Il a complètement disparu du désert Gibson depuis que les Warlipiri, regroupés dans les communautés de Yuendumu et Lajamanu, ne pratiquent plus le brûlis périodique qui assurait sa survie. Le territoire dont il est question dans la peinture de Bess Nungurrayi Price est une vaste étendue plate de sable et de lacs salés. Il est dit que l’ancêtre Mala voyagea à travers ce pays, créant une série de points d’eau douce, sources ou marais, qui jalonnent les pistes jadis suivies par les tribus. L’essence spirituelle et le pouvoir du Mala sont restés parmi les termitières qui caractérisent la contrée. Bess, comme ses frères et sœurs, a hérité de la lignée paternelle, des droits et responsabilités sur ce pays.