Cinquantenaire de la naissance du mouvement de Papunya Tula, une belle et émouvante histoire !

Publié le par Wanampi

C’est entre juin et août 1971, que naît le mouvement de la peinture aborigène, devenu un phénomène unique dans le monde de l'art.

Cette naissance a lieu dans la douleur.

Il n'est que de lire le témoignage de Geoffrey Bardon pour s'en convaincre ! (Ci-dessous)

"J’arrivai au camp de Papunya tard le soir en février 1971 après avoir conduit seul depuis Alice Springs tout au long de dangereuse et sinueuse Beef road.

A mon arrivée, je me présentai à un groupe d’hommes alcoolisés, grossiers, violents, qui, comme j’allai l’apprendre étaient les administrateurs du camp.……..

Les quatre groupes tribaux que je trouvai à Papunya en 1971, étaient comme quatre figures de misère. Beaucoup de ces Aborigènes avaient été forcés ou fortement influencés par les autorités blanches, de vivre à Papunya dans le cadre d’une politique continue d’assimilation du gouvernement fédéral dans les années 60, lorsque les derniers groupes errants pintupi furent amenés du désert Gibson.

Dans chaque groupe, Luritja, Warlpiri, Aranda ou Pintupi, il y avait le sentiment que les Blancs méprisaient les croyances spirituelles du désert et leur déniaient toute culture.  Papunya était, en un sens, le fantôme d’une riche tradition culturelle de l’Australie centrale, celle de ces personnes dont les ancêtres avaient été massacrés, empoisonnés, et avaient disparu en l’espace de quelques générations de contact avec les Blancs, tandis que leurs terres étaient confisquées pour monter des stations d’élevage. C’était là le lit de la haine et de la détresse.……

L’administration de Papunya, c’était une autre affaire. Les préoccupations culturelles et sociales des hommes et des femmes que je rencontrai étaient limitées au racisme, au paternalisme ordinaire et au sentiment du bon droit de la loi de l’homme blanc, lequel allait avec une consommation abusive d’alcool et malhonnêteté intellectuelle."

     (Geoffrey Bardon, Papunya, a place made after the story, p 3-6, traduction Wanampi)

 Il est admis désormais que c'est grâce à cet homme, Geoffrey Bardon, que le génie aborigène éclot dans camp de sédentarisation de Papunya et que fut créé un an plus tard la première coopérative d'artistes « Papunya Tula Ltd ». Son attitude d'ouverture, de générosité, de compassion également, agirent comme un véritable catalyseur des énergies étouffées par les traitements déculturants et même déshumanisants auxquels ces malheureux exilés étaient soumis.

Sensible à la détresse qu'il ressent dès son arrivée, il se rapproche des autochtones, cependant bienméfiants à l'égard du Blanc; mais lui gagne leur confiance. C'est en observant les histoires tracées dans le sable qu'il prend conscience qu'il existe un ensemble de signes récurrents, un véritable langage, qu'il nomme les archétypes du désert.

Dès lors, il brûle d'en connaître plus et réclame les « patterns », les motifs, au point qu'il est vite surnommé « Mr Pattern ». Il lui faudra beaucoup de patience et de persuasion pour convaincre les adultes de dévoiler un peu de ces signe secrets et sacrés.

Et un jour, grâce à des audacieux, Bill Stockman Tjapaljarri, Long jack Philippus Tjakamarra, Nosepeg Tjupurrula et quelques autres, des peintures traditionnelles couvrent bientôt les murs de l'école de Papunya, c'est Honey ant dreaming, Snake dreaming, Widow's dreaming... Et voilà le Temps du Rêve à nouveau évoqué, invoqué, rendu vivant et dispensateur de cette énergie native qui fait vivre l'Australie noire depuis plusieurs dizaines de millénaires.

Widow's dreaming. Extrait de "Papunya, a place made after the story" de Geoffrey et James Bardon, Myegunyah press

Ensuite, ce sont des peintures sur des supports de récupération, morceaux de contre-plaqué, capots de voiture, boîtes de conserve, boîtes d'allumettes, tout est bon à peindre. Une soif trop longtemps contenue de représenter les Rêves, de se relier au spirituel, de rendre grâce aux ancêtres, s'empare des exilés, fusse sur ces supports étranges plutôt que sur la terre sacrée ou bien sur la peau comme on le fait de toute éternité.

Et bientôt, c'est le premier argent gagné par la vente de ces oeuvres à des collectionneurs clairvoyants, le premier argent véritablement aborigène, l'ébauche d'une émancipation...

Geoffrey Bardon affronte durement à l'administration qui ne conçoit l'assimilation que dans le renoncement à cette culture de sauvages. Il endure une telle brutalité qu’il en tombera gravement malade et son frère devra venir le rechercher à Alice Springs pour le faire soigner.

Néanmoins, « la vie est dans la graine » comme disent les femmes aborigènes qui vénèrent les plantes, et rien ne pourra arrêter le mouvement amorcé ; une coopérative voit le jour en 1972. L'administration, alors, ne peut faire autrement que d'accompagner le mouvement. L'exemple sera suivi dans d'autres communautés du désert.

Warlugulong, 1976 par Clifford Possum Tjapaltjarri, Tim Leura Tjapaltjarri, une oeuvre de la première époque. Galerie d’art de Nouvelle-Galles du Sud (nsw.gov.au)

Geoffrey Bardon, soigné, reviendra à plusieurs reprises à Papunya où il verra naître des chefs-d’œuvre. Cependant persuadé que la culture aborigène va disparaître sous les coups de la culture dominante occidentale (ce en quoi il se trompait), il fait des relevés, dessins et photos de chaque « pattern », et des commentaires que veulent bien lui donner les artistes.  Ces motifs explicités sont rassemblés depuis 2004 dans un gros livre intitulé « Papunya, a place made after the story » édité en Australie par Myegunyah press, et qui est une véritable bible de la peinture aborigène des débuts.

Geoffrey Bardon s'éteint en 2003, à l'âge de 63 ans

On connaît la suite de l'histoire...

 Tjungkara Ken, art aborigène, australie
Seven sisters par Tjungkara Ken, 110x112 cm, oeuvre de 2021

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Publié dans ART D'AUSTRALIE

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