L'Australie aborigène et le Rêve du feu.

Publié le par Wanampi

Lorsque vous voyagez dans l'Outback australien un peu avant la saison sèche, il n'est pas rare de voir le bush brûler ; il ne s'agit pas d'incendies mais de brûlis contrôlés. Cette pratique vieille comme le continent a été pratiquée avec constance par les Aborigènes sur tout le territoire. La broussaille, l'herbe spinifex, brûlaient, les troncs des gommiers étaient léchés et noircis, le feillage respecté, et, à la saison suivante, la nature reverdissait. Pendant ces brûlis on ne manquait pas de nourriture car kangourous et émeus fuyant devant les flammes étaient faciles à chasser. On pouvait alors réunir les petits groupes de chasseurs-cueilleurs et faire les grandes cérémonies de renaissance. On échangeait des rituels, quelques bien matériels, des ceintures de cheveux, de l'ocre, de la nacre et on arrangeait les mariages. Le feu était le signe de la mort-renaissance.

Cette pratique de nettoyage empêchait que se propagent les grands incendies que l'on voit aujourd'hui à chaque saison en particulier dans les zones ou les tribus, déstructurées, ne respectent plus cette règle ancestrale.

Dans le centre, le Kimberley et le nord, elle existe toujours. Peut-être ces zones seront-elles épargnées par le désastre que connaît l'Australie aujourd'hui. A suivre...

Le feu, dans l'Australie aborigène est très présent. Il prend naissance dans le Temps du Rêve, créé par le Lungkata, le vieux lézard à langue bleue pour se venger de ses fils. En voici l'histoire illustrée par divers grands peintres :

Le rêve du feu par Jorna Newberry (non disponible)

 

Le Rêve du feu commence à Warlukurlangu, en territoire Warlpiri. C'est l'histoire d'un vieux lézard à langue bleue amoureux d'une donzelle kangourou. Le vieux lézard, à demi aveugle, avait chargé ses deux fils, les Jangalas, de chasser pour lui. Evidemment il leur avait bien recommandé de ne point  toucher à la jeune et jolie kangourou pour laquelle il soupirait et multipliait les chants d'amour en espérant qu'elle vienne à lui. La magie était puissante et la petite kangourou rôdait de plus en plus près du campement.
Mais les Jangalas boys, deux benêts assez fainéants, las de chasser de plus en plus loin, passèrent outre les recommandations du vieux lézard, occirent la jeune kangourou à la chair tendre, et la servirent au repas du soir, pensant que leur père n'y verrait que du feu.
Le vieux se régala et félicita ses garçons. Mais le lendemain, lorsqu'il ne vit plus la jeune kangourou, il comprit qu'il avait mangé sa bien-aimée.
Le Lézard à langue bleue était sorcier et, dans sa rage, il déclencha un feu magique contre ses garçons. Tout le bush s'enflamma. Les Jangalas s'enfuirent vers le sud jusqu'en territoire Pitjantjara, mais le feu les suivait. Il attaqua leur pieds, les jangalas fuyaient toujours, il attaqua leur genoux, leur corps, remonta jusqu'à leur tête. Les jangalas boys décidèrent de revenir sur les lieux du crime et d'implorer le pardon de leur père. Mais ils moururent en arrivant. On retrouva d'eux leurs os, leur bandeaux de cheveux tressés, leurs armes.

Il existe différentes versions du Rêve du feu dont l'itinéraire, jalonné de lieux sacrés, traverse le territoire de plusieurs tribus. Mais toujours la faute, la transgression de l'interdit consume les Jangalas boys jusqu'à la mort. Le thème du remord dévorant est transculturel et ce feu magique qui les poursuit jusqu'à la consomption n'est pas sans rappeler le Caïn de la Bible  poursuivi par l'oeil jusqu'à la tombe.

Les héros du Temps du Rêve, Grands Ancêtres des Aborigènes, sont souvent des contre exemples de ce qu'il convient de faire pour bien vivre en société. Cette histoire, que tous peuvent entendre, peut ainsi être reçue selon les sensibilités. On peut y apprendre :
Que prendre l'Ancien pour un vieux sénile  n'est pas bien
Que l'anthropophagie est un vilain défaut (il ne vous aura pas échappé que  lézards et kangourous du temps du Rêve ont une grande part d'humanité)
Qu'il est très mal de manger sa future belle-mère
Que les vieux lézards n'ont pas à convoiter les jeunes filles kangourous
etc...

Warlukurlangu, le Rêve du feu, est un thème très présent chez les peintres aborigènes qui possèdent une fraction de l'itinéraire et un fragment du mythe et sont donc habilités à le représenter.


 "Warlukurlangu, Fire dreaming"
par Clifford Possum Tjapaljarri 

non disponible

Clifford Possum, l'un des artistes aborigènes les plus connus, a été un ambassadeur de son peuple à travers le monde. Clifford a peint une série de ce motif très fort émotionnellement  qui illustre la fin de l'histoire : les Jangalas réduits à l'état de squelettes consumés par la faute autant que par le feu.
Les toiles de Clifford Possum, décédé en 2002, sont aujourd'hui des pièces de collection.

 

 "Warukurlangu, Fire dreaming" par Maureen Hudson Nampijimpa,
acrylique sur toile, 205x159(
exposée à Monaco)
Non disponible

Ce magnifique tableau, de taille imposante, évoque le feu magique qui court dans les spinifex (l'herbe du bush)



Détail de "Fire dreaming"


Maureen Hudson Nampijimpa, est une artiste de 60 ans, extrèmement créative, qui sait puiser à la source mythique tout en travaillant ses motifs avec un sens esthétique étonnant.

Ces deux dernières oeuvres soulignent également la complémentarité des hommes et des femmes: Clifford en tant qu'homme est en lien du monde des esprits et avec la mort, (et le site où les jangalas ont péri est un site sacré masculin), Maureen en tant que femme, est concernée par le monde sensible, la nature, le pays.

Publié dans ART D'AUSTRALIE

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
W
Merci Marie Françoise, peut-être aurons-nous le plaisir de votre visite sur l'une des expos qui seront annoncées sur ce blog...
Répondre
M
Bravo .je peins moi même... depuis mon voyage en Australie et la visite de communotées aborigenes. je suis facinée par ces tableaux sublimes. merci pour cette beautéMarie-Françoise
Répondre
W
Merci Bertrand, je crois que la relève est bien assurée grâce à des artistes (encore) jeunes de cette valeur.
Répondre
B
Quelle peinture extraordinaire. Ah si la raison ne me retenait pas...Bien amicalement,Bertrand
Répondre